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L'homme est un loup pour l'homme
- Premier Chapitre : La Belle et la Bête ;
L’hiver s’insinuait partout, jusque dans les racines des vieux saules dépouillés de leurs feuilles. Il courait le bel hiver, insatiable, avalant la plaine immense dans un suintement strident. Au loin, on devinait l’église et la vieille ferme abandonnée de l’aïeul, noyées dans un drap de brouillard qui semblait croître de vallon en vallon, jusqu’aux rochers qui protégeaient la digue. J’imaginais la mer et sa frêle toison blanche, ses colliers de perles qui dansent le long des vagues … Je la voyais douce et puissante, apaisée. Je la sentais languir comme je me languissais. Oui, j’aurais tout donné pour voir la mer une dernière fois.
Un aigle dans le ciel, planant à mille lieues de mon amertume. Un zeste de beauté qui vint parfaire la réserve naturelle et sensuelle de ce décor sans couleurs. Je repris ma marche, faisant ployer l’herbe folle sous mes bottes. Autour de moi, tout n’était qu’immensité, immensité perdue quelque part entre la terre et le ciel, littéralement broyée par les épais nuages. L’absurdité sauvage gagnait son pouvoir de séduction sur mes sens éveillés. Finalement je me laissais choir sur le sol, l’esprit parasité par la beauté de la terre qui m’avait donné vie. C’était mon ultime contemplation, comme un baiser d’adieu serti de diamants dissous par le vent.
Je partais de mon plein gré, et malgré tout, le cœur serré pour toujours. C’était une nécéssité, bien plus qu’une volonté. Il fallait que je le suive dans sa quête du bonheur absolu.
Flash Back
Je courais toujours, en vain, il courait plus vite et se dérobait à ma vue dés que l’occasion se présentait à lui. Je le poursuivais comme une folle, en proie à une véritable crise d’hystérie. Angoissée, je l’entendais qui pleurait dans la nuit, dans l’intimité de la forêt. Je hurlais, la gorge nouée, et le corps parcouru de spasmes grossiers …
- Shaaaï !
Mes mots semblèrent brûler tel un écho, puis s’évanouirent dans le silence nocturne. Je ne le voyais plus, pour la énième fois, et j’étais littéralement épuisée. Je m’effondrais sur le sol, vaincue de lassitude. Une croisade silencieuse instaura ma perte, je le sentais prés de moi, qui guettait mon instinct. Je murmurai, plus faible, résignée …
- Shaï … Je t’en supplie … Je t’aime !
Il fini par émerger d’entre deux arbres, le corps meurtri par sa cavale, sa solitude peut être … Il ressemblait plus à un loup qu’à un homme. A cet instant, sans que je puisse me l’expliquer, mon amour subi l’intensité de son regard, et je su qu’il était trop tard … Que rien ne pourrait plus jamais l’effacer de mon âme, et qu’il valait mieux mourir que de le perdre encore. Je le voyais tel qu’il était, dans toute sa monstruosité, dans toute son inhumanité. Nu, il exposait son instinct primitif, sa barbarie naturelle et abjecte. Je l’aimais.
- Pars ! Je ne voulais pas que tu vois ça !
Son ton était sec mais discret, comme s’il avait souhaité m’aimer de chair et de cœur. Je ne soufflai mot, assaillie par la vision de la bête, paradoxale. Au dessus de nous, la lune, impériale, gagnait refuge, abandonnant son royaume à de plus chauds rayons.
- Je suis un monstre Aaricià, je ne mérite rien d’autre que ton dégoût, si tant est que tu veuilles bien m’accorder tant d’honneur. Je n’ai jamais voulu … Je n’ai pas le choix, c’est dans ma nature !
- Non. Je t’aime. Je veux partir avec toi. Crois tu que je pourrais vivre toute une vie sans toi ? C’est impossible.
- Arrête, tu sais très bien que je ne peux pas t’emmener. Je ne reviendrais jamais ici. Ils veulent ma peau. Oui, mes propres pères, mes frères, ils ont juré ma mort, et je ne peux même pas leur donner tord.
- Je pars avec toi. Moi non plus je ne l’ai jamais voulu … Mais aujourd’hui, je n’ai pas le choix. Je t’aime c’est dans ma nature !
- Aaricià …
- Non … Surtout ne dit rien. Rentrons, il se fait tard.
Le jour pointait son œil sévère, contraste obligeant à la discrétion des étoiles. Tremblant, j’épaulais mon loup jusqu’à la grotte qui nous servait de refuge. Nous étions seuls face au reste du monde, la belle et la bête, si forts pourtant lorsque nous nous aimions.
Ils se marièrent et n'eurent qu'un seul enfant : Aaricià lui donna le doux nom de Lou, en hommage à son père.
Chapitre Deux : L’homme est un loup pour l’homme ;
C'est la nuit de mon dixième anniversaire que la chose arriva. Nous vivions reclus, loin de toute habitation humaine, afin de minimiser les boucheries commises par mon père les soirs de pleine lune, mais surtout, je le sentais au fond de mon cœur, pour préserver sa vie, et son anomalie cruelle. Nul ne savait, et nous protégions ce secret qui nous appartenait. Plus encore, nous le vivions sous le feu des étoiles, trio criminel et passioné, enchaînés par des chaines invisibles à nos pairs. Nous ne vivions que pour trois, et nous étions en ce sens bien plus que des complices. Nous vivions en meute. Je ne me souviens pas des détails de la scène, mais je suis sûre d’une chose … Il faisait terriblement beau dehors. C’est ce qui m’a frappé, le beau du ciel, bleu sombre, et je me souviens m’être dit qu’il devait y avoir une erreur, et qu’un soir aussi triste et malsain ne pouvait pas être soir de lune si belle, si incandescente dans sa clarté céleste. A l’époque, je n’étais pas encore maniachoréaliste.
Je dormais ce soir là, d’un œil tout du moins. Dans ma léthargie, j’entendis ma mère qui verrouillaient les portes donnant accès à ma chambre, afin de prévenir les accès bestiaux de mon père. La lune était pleine, dormant au firmament, simple d’apparât. Il n’allait pas tarder à hurler, mieux valait que je m’endorme avant, sinon c’était foutu pour un bout de temps. Certains soirs, il m’arrivait de trembler, recroquevillée sur moi même dans le petit lit de bois construit par cet homme qui me terrorisait. Ces soirs là, je gardais dans ma tête ce souvenir de lui, doux, tendre, qui taillait le bois de ce petit lit, et je respirais fort pour me donner du courage. Quelquefois ça marchait bien, d’autres fois … Il valait mieux ne point y penser.
AAAAAAAaaaaaaaah !
Il y’eut un cri, vite englouti par l’absurde silence de la nuit. Un râle rauque et douloureux, venu du tréfonds des entrailles. Un cri de femme. Je tressailli, n’osant plus bouger, réfutant l’envie de me jeter sur la porte cloisonnée. J’avais peur, peur de ce que j’aurais pu voir derrière la porte, de lui, et de cette éternelle obscurité, grandissante, qui ne voulait point mourir. Je retins ma respiration, suffoquant presque sous les couvertures.
Un long quart d’heure s’écoula ainsi, sans que rien ne vint troubler mon repli intérieur, lâche et cruel, matricide. Soudain, je l’entendis se jeter contre le sol, affamé, bestial et sanguinaire, puis déchiqueter le corps de ses crocs acérés, venimeux. Je percevais le son de ses grognements sourds et puissants, de sa mâchoire féroce, tranchant la chair de celle qui l’aimait tant. Je ne voulais pas bouger. Je ne voulais rien faire, et cette peur glaciale se tatouait en moi, indélébile.
L’eternité finit par s’effacer, révélant le petit jour, le beau matin … Je mis une heure avant de trouver la force nécessaire pour ouvrir la porte. Les restes de ma mère gisait dans le salon, exposé aux larmes de mon amour de père. J’aurais voulu lui dire que ce n’était pas sa faute, qu’il était un bon papa, tendre et généreux, que je l’aimais de toute façon, même si ça ne se faisait pas, mais les mots restèrent coincés dans ma gorge, condamnés à ne plus en sortir. Sans un mot, je refermai ma porte. Elle, n’avait pas eu le temps de fermer la sienne.
Chapitre trois : Lou (y) es tu ?
- Et ta mère, elle viendra ?
- Elle est morte !
- Oh je suis désoléééée. Et ton père, il fait quoi dis ?
- Il est malade.
- Oh je suis désolééée. C’est grave ? Il a quoi comme maladie ?
Je haussai les épaules, non sans un signe d’agaçement perceptible. Elle ne sembla pas s’en offusquer toutefois, continuant sa litanie. Je décidai de l’ignorer. D’emblée, je constatai que cette première année à Poudlard risquait d’être périlleuse et légèrement stéréotypée de jeunes poules sans cervelles. A l’époque, j’envisageais le monde sous trois façettes bien distinctes. : Il y avait d’un côté les cruches sans cervelles, de l’autres les filles intéressantes, et enfin loin derrière, moi et mes envies de solitude. La vie devait m’apprendre que les choses n’étaient pas si manichéennes et que le shéma ne cessait de se métamorphoser en d’autres shémas plus complexes.
- Dis c’est vrai ce qu’on dit …
- Hum … On dit tellement de choses …
- Mais si tu sais … Que tu es … Enfin que tu aimes les femmes !
- On en reparle quand t’auras des nichons !
Je trouvai refuge dans la salle de sortilèges, non sans peine. Depuis que j’étais arrivée dans cette école de gens « normaux », je faisait l’objet de toutes les conversations, ce qui aurait pu être une bonne chose en soi, si ça n’avait pour conséquence de renforcer mon sentiment d’anomalie génétique. Je me sentais perdue, et pour cause, c’était la première fois de ma vie que je faisais irruption dans un lieu public. Quant à ma présumée homosexualité, elle se confirma l’année de mes quinze ans, lorsque je tombais amoureuse pour la première fois. Peu à peu les gens s’étaient habitués à moi et à mes penchants malsains … Ils avaient trouvés d’autres ragots à recycler et s’étaient désintéréssés de mes frasques quotidiennes, à mon plus grand soulagement hormonal et cérébral.
Et lorsqu'on me lançait dans les couloirs "loup y es tu ?", ça résonnait dans ma petite tête comme un avertissement plus perssonnel, une introspection intime, que je m'adressais moi même ... "Lou qui es tu ?" Telle était ma véritable question !